« Les champions de tir doivent-ils avoir des nerfs en câbles d'acier?»

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Revue « Le tir sportif » de l’UIT. Août 1963

L'UIT, cela semble bien loin de notre époque! Cependant, les "fondamentaux du tir sportif restant les mêmes, j'ai pensé qu'une telle lecture est toujours enrichissante. A première vue, cela semble énoncer des vérités premières; c'est vrai. C'est aussi vrai qu'on les oublie trop facilement parfois!
Christian Raynaud

par Makhmoud UMAROV, (d’URSS à l’époque)

L'amélioration constante des résultats fait penser que les tireurs d'élite possèdent des facultés qui leurs per­mettent de remporter sans peine et avec certitude une com­pétition après l'autre.

Parmi plusieurs milliers de tireurs, seuls une douzaine atteignent au sommet de la gloire et accusent cette perfection que la grande masse désire acquérir, mais qu'elle n'obtient que rarement. Cela est d'autant plus étonnant que lors la forma­tion d'un groupe d'entraînement, tous les participants (champions et tireurs moyens) sont soumis, au départ, à des conditions absolument identiques. Ils doivent atteindre le même but, résoudre les mêmes problèmes techniques et psychiques. Malgré cela, seuls quelques élus sont capables d'améliorer leurs performances, non seulement lors de tirs éliminatoires, mais aussi aux grandes compétitions. Seraient-ils plus doués que d'autres?

Il est vrai que certaines propriétés physiologiques, tels qu'une excellente vue, une bonne sensibilité physique, .une circulation sanguine sans défaut et un système respiratoire absolument au point sont nécessaires pour pratiquer le tir sportif avec un certain succès. Mais ce ne sont pas des qualités spécifiques au tir et l'on peut observer qu'un bon tireur est généralement une nature calme, bien équilibrée, endurante et réfléchie. Mais là encore, ces traits de caractère sont propres aux sportifs volontaires et tenaces et n'ont aucun rapport direct avec le tir.

En observant certaines règles bien définies, chaque tireur quelque peu ambitieux peut améliorer ses performances. Tel est le sujet que nous allons traiter.

L'influence négative de la nervosité au début d'une compétition provoque en premier lieu un amoindrissement du résultat par rapport à la moyenne obtenue aux entraînements. Si, par un effort de volonté, le concurrent arrivait à oublier qu'il s'agit d'une compétition valable et que quelqu'un s'intéresse au résultat final, il tirerait certainement aussi bien que d'habitude.

Mais la plupart des tireurs sont conscients de leur responsabilité et, dès cet instant, le calme disparaît, le fonctionnement nerveux laisse à désirer et les coups ne veulent plus partir au moment opportun. De nombreux autres facteurs contribuent également à la diminution d'une performance de tir.

En compétition, le tireur est soumis à une série d'influences extérieures nouvelles, telle la solennité du moment, mais sur­tout la présence des spectateurs qui, par leur seule présence optique et acoustique, ont une influence néfaste sur son calme et sa tranquillité. De plus, si un débutant a l'impression que ce public s'intéresse directement à son résultat, sa nervosité ne fait qu'augmenter. Il est évident que ce phénomène se re­marque d'avantage chez un sportif déjà timide de nature. L'habitude des spectateurs s'acquiert peu à peu et fait partie de l'expérience. On pourrait accélérer le processus en organisant les tirs d'entraînement en public. Comme cela n'est généralement pas possible pour des raisons techniques, la solution consiste à donner aux tireurs en question la possibilité de prendre part à un grand nombre de compétitions. Cet obstacle une fois surmonté, les spectateurs deviennent un facteur positif et le tireur à même besoin d'eux comme stimulant, l'obligeant à combattre avec toute l'énergie nécessaire pour vaincre. L'accoutumance peut aller si loin que le tireur ne remarque même plus leur présence. Jassinski, le maître-tireur bien connu, raconte qu'au tir au pistolet libre, lors des championnats d'Europe 1955, qu'il remporta en établissant alors un nouveau record du monde (566 pts), il ne se rendait même plus compte de son entourage et qu'il avait complètement oublié le lieu où il se trouvait, situation fort agréable obtenue par la concentration sur le tir.

Non seulement la présence des spectateurs, mais encore leurs agissements bruyants et leurs remarques influencent directement les tireurs, cela d'autant plus si un concurrent croit de­voir admettre que le public ne lui est pas favorable. Toute remarque lui deviendra insupportable et peut le conduire à la catastrophe. Il est absolument nécessaire qu'avant et pendant la compétition, les concurrents essaient d'ignorer ce genre de coulisses.

Un exemple à suivre est celui de Vassilij Borisov, plusieurs fois champion du monde et vainqueur olympique à la carabine, qui s'isole complètement dès qu'il pénètre dans un stand, semble renfermé, évite les curieux et ne répond même pas aux questions qui lui sont posées. Durant la compétition, il ne se laisse pas déranger, ne se retourne jamais et semble être immunisé contre toute influence extérieure.

En diminuant la concentration de l'intéressé, un tir facile peut également amoindrir un résultat. En effet, quand tout va bien, chacun se relâche quelque peu et se produit un accident qui aurait pu être évité sans difficulté.

Vouloir faire un 10 à tout prix, c'est à dire vouloir trop bien faire, est une autre erreur menant à une diminution de la performance, car chaque coup doit être donné avec une précision répétitive. Le tireur s'étonne alors d'avoir un mauvais coup, et, si la chose se produit plusieurs fois, il peut complètement perdre confiance en lui-même. En épaulant, on ne doit pas « rêver d’un 10 », mais aiguiller toute sa concentration sur le déroulement des opérations jusqu'au départ du coup.

Par ailleurs, s'il se présente un mauvais coup incompréhensible, il n'y a pas lieu de perdre la tête ou de se décourager, mais bien de rechercher tranquillement l'erreur afin de l'éviter par la suite. Un, deux, trois et même plusieurs mauvais coups peuvent être ainsi vécus sans catastrophe si le tireur garde sa confiance et continue à croire en la victoire jusqu'au bout de la compétition.

Les coups qui vont ailleurs que là où on les attendait ne contribuent pas spécialement au rétablissement d'une confiance déjà ébranlée par d'autres incidents. Le tireur devient peureux, s'énerve, il se méfie de son arme, de sa munition et a beaucoup de peine à se reprendre.

Les coups manqués en début de compétition, généralement provoqués par une impatience inutile et néfaste, peuvent avoir une grande influence sur l'issue de la compétition. Ces mauvais coups peuvent également avoir leur origine dans le  système nerveux central suite à une préparation psychique insuffisante. C'est le phénomène bien connu du coup qui ne veut pas partir, ou qui part trop tôt, c'est-à-dire lorsque le guidon est à côté du but.

Avec l'apparition de la fatigue et de la probabilité d'un mauvais coup, le tireur a instinctivement le désir d'arrêter le tir. Malheureusement, cet avertissement n'est pas toujours suivi et le danger d'une mauvaise passe devient très grand. Dès que le tireur a le moindre doute sur la qualité du coup qui va partir, il n'ose pas le lâcher, quoiqu'il arrive. Le moyen de se soustraire à l'influence extérieure consiste à se concentrer sur une mise en joue et une visée correcte et de ne pas penser .à la valeur du coup à donner. D'ailleurs, tout évènement funeste qui tend à diminuer la concentration doit être, dans la mesure du possible, ignoré ou omis. C'est ainsi que l'observation du tir des voisins doit être évitée à tout prix. La peur de ne pas arriver au bout du programme dans les délais impartis influence défavorablement la concentration. De plus, elle in­cite le tireur à la hâte, ce qui n'est pas précisément favorable au tir de précision.

Une détente irrégulière peut provoquer un départ involontaire du coup. Le tireur qui doit concourir dans de telles conditions n'atteindra certainement pas le résultat qu'il espérait. Le remède est très simple: réparer l'arme et ne pas avoir une .détente trop fine.

En résumé, les facteurs négatifs sont de deux sortes: d'une part, la diminution de la concentration par des dérivatifs et, d'autre part, l'augmentation de la nervosité du tireur. On peut y remédier dans une large mesure, premièrement par la volonté de concentration sur le déroulement technique du tir, deuxièmement en s'aguerrissant au cours de nombreuses compétitions.

J'ai souvent entendu dire que je possédais des nerfs en câbles d'acier ou que j'étais calme comme un ours. Je tiens cependant à préciser que cela n'est pas le cas, et que, comme tant d'autres tireurs, je dois résoudre chaque fois les mêmes problèmes qu'eux. Je n'ai jamais cherché à le nier, mais je ne montre jamais non plus ma nervosité. J'ai toujours réussi à surmonter ces difficultés, généralement après 2 ou 3 coups, quelquefois aussi après 5 ou 10 coups seulement !